L a c r o i x r i u m

 
m

Hugues Morin
SOUVENIRS DE FANDOM

(ou Pierre Lacroix vu par Hugues Morin)


(Parution : revue Temps Tôt n°38, septembre 1995)

Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. La terre était informe et vide et le souffle de Dieu palpitait sur les eaux.

Dieu dit: «Que la SFFQ* soit!» et la SFFQ fut. Il la vit et la sépara en deux parties. Il dit à l'une: «Tu es la SF», et à l'autre: «Tu es le fantastique.» Il y eut un soir, puis un matin: ce fut le premier jour de la SFFQ.

Dieu dit: «Que Longueuil soit!» Et Longueuil fut. Il y eut un soir, puis un matin: ce fut le second jour de la SFFQ.

Dieu dit: «Qu'il y ait un Spehner!» Et il en fut ainsi. Il y eut un soir, puis un matin: ce fut le troisième jour de la SFFQ.

Dieu dit: «Qu'il y ait une revue pour véhiculer la SF et le fantastique». Il fit la revue et il dit: «Tu es Requiem!» Il y eut un soir, puis un matin: ce fut le quatrième jour de la SFFQ.

Dieu dit: «Que dans cette revue puisse-je trouver des nouvelles.» Il en fut ainsi. Des auteurs apparurent. Il y eut un soir, puis un matin: ce fut la cinquième jour de la SFFQ.

Dieu dit: «Qu'il y ait des illustrateurs pour collaborer à Requiem. Ils serviront à donner une autre dimension à la revue.» Et il en fut ainsi. Des illustrateurs apparurent. Il y eut un soir, puis un matin: ce fut le sixième jour de la SFFQ*. Puis Dieu contempla son oeuvre. La SFFQ avait été crée, à Longueuil, par le biais de (Norbert) Spehner et Requiem. Des auteurs y progressaient, avec quelques illustrateurs. Dieu voulut bénir ce jour et se reposer. Puis, il eut une idée et dit: «Que Lacroix soit!» Et Lacroix fut. Dieu le regarda un instant, avant de lui dire: «Lacroix, tu es Pierre. Et sur cette pierre, je bâtirai le fandom.» Il y eut un soir, puis un matin: ce fut le septième jour. Et puis, Dieu se reposa.


* SFFQ : science-fiction et fantastique québécois.


• • •

Aujourd'hui, des centaines d'années après la naissance de la SFFQ, il est difficile d'expliquer aux biblio-électronautes ce que signifiait pour les amateurs du genre l'émergence d'un milieu. Remarquez, je les comprends; même moi, qui ai la prétention d'être une des plus anciennes mémoires stockées sur Plan-Net, je ne puis décrire avec précision la génèse de la SFFQ. Je l'ai bien entendu romancée dans le prologue qui précède, car ses origines se perdent dans les limbes. En plus, au moment de ma mémorisation, j'ai dû laisser de côté quelques détails afin d'emmagasiner avec moi certains documents que j'estimais essentiels. Je ne vois qu'une formulation possible pour faire vraiment comprendre aux électronautes de quelle époque je parle: l'époque en question se situe avant l'apparition du premier Internet.

Ce site vous présente une légende de cette époque: un homme aux talents variés; Pierre Djada Lacroix.

La SFFQ de la période imprimée avait eu plusieurs supports au fil des décennies. Revues et fanzines en quantités, auteurs et illustrateurs très nombreux. Parmi les pionniers, Pierre D. Lacroix. Tour à tour illustrateur, auteur, documentaliste, chroniqueur, polémiqueur, éditeur, musicien et compositeur, père, ami, et j'en passe. Il est difficile de se trouver un point de repère pour vous parler de Pierre. Je n'ai que de vagues octets sur ses activités avant que je ne fasse personnellement sa connaissance...

Je me souviens encore de mon premier contact avec Lacroix: la couverture d'un fanzine: Temps Tôt 10: spécial Bolduc. Une couverture que j'ai à peine remarquée puisque je découvrais alors le fandom, Temps Tôt et tout plein de choses en même temps. Mais deux mois plus tard, en recevant Temps Tôt 11, paf! La légende raconte que Pierre se doutait que son premier contact avec moi ne m'avait pas impressionné. Il réalisa donc un dessin qui demeura toujours un de mes préférés. Pierre avait joué sur plusieurs thèmes parmi mes favoris. Les animaux, la naïveté de l'enfance et l'idéalisme, d'abord. (Pour voir l'image, cliquez ici : ). Son ourson en peluche, sur le plancher en damier, tenant entre ses bras la planète, m'a immédiatement touché. Puis, avec une heureuse combinaison qui les fait paraître à la fois à l'avant-plan et à l'arrière-plan, les jambes d'une femme, élégamment croisées. Il est fort dommage que l'hologramme que je vous reproduis ici soit incapable d'illustrer cette dualité avant-plan/arrière-plan des jambes de cette femme, que l'on imagine instantanément fort jolie, d'ailleurs. [Vous ne vous en doutiez pas, mais la technologie peu parfois faire perdre de l'intérêt à certaines choses. Oh! Bien sûr que l'hologramme est joli à regarder... mais moi je vous le dis: il ne vaut pas l'illustration originale, réalisée à la main, à part ça!]

A cette époque, je ne le savais pas encore, mais ce dessin représentait également des thèmes très chers à Pierre Lacroix. La Nature et la Femme.

Cette illustration demeura toujours ma couverture préférée de Temps Tôt. Et ce, malgré l'incroyable longévité du fanzine, qui a au fil des ans, battit tous les records de l'époque, en SFFQ imprimée.

Personnellement, je découvrais de plus en plus le travail de Lacroix. Son travail de chroniqueur, de polémiqueur aussi, ainsi que sa générosité sans borne pour le fandom. Il s'impliqua au point d'éditer lui-même son fanzine pendant plusieurs années. Détail amusant, même à ce jour, jamais la "mort" du fanzine Carfax n'a été officiellement annoncée. Le fanzine n'a plus paru depuis des siècles, mais il aurait très bien pu reprendre vie (oh! une vie électronique, bien entendu) si on avait seulement pu mémoriser les gens quelques décennies auparavant. J'imagine très bien Pierre-mémoire en train de fignoler quelques octets de zines sur Plan-Net.

A l'époque de Carfax, je ne connaissais pas encore Pierre Lacroix. On m'a raconté toutes sortes de choses et il doit bien traîner quelque part dans les processeurs à ma disposition une copie-visuelle d'un ancien numéro... mais il ne s'agit pas d'original. C'était le problème le plus difficile, au moment où j'ai été mémorisé: l'espace était très limité sur Plan-Net. J'ai pu emmagasiner ma mémoire dans son entier, mais j'ai dû restreindre les documents d'époque que je voulais garder. En consultant des documents visuels sur ce site, prenez garde: ceux marqués d'un petit tigre dans un coin sont des reconstitutions effectuées à partir de ma mémoire vive. D'ailleurs, comme vous pouvez le constater, i   **ERR**   f*ERR**   H** ERR**   ;o**ERR**
O!**ERR**
=cla**ERR**   1**ERR**   y-H cK+n
K#)knHk[K)a+s(q#+   +(#-K(s
!:(K;Ks x.              f[s**ERR**

Merde! Encore un problème de liaison avec le serveur principal! Ah! A l'époque de Pierre Lacroix, les gens rêvaient du jour où toute la planète serait reliée en un immense réseau informatique! Maintenant que c'est fait, rien ne fonctionne comme prévu! Je vais vous dire; les premiers internets ont évolué trop rapidement; on a multiplié les problèmes de manière exponentielle depuis des centaines d'années. A quoi bon être mémorisé si on n'a pas accès aux secteurs-clés de sa mémoire morte, je vous le demande?

On m'a raconté une des premières présences de Lacroix dans une soirée du Grand Prix. La scène se passe le 25 mars 1985. Il s'était présenté avec l'espoir d'échanger quelques propos intéressants avec les membres du fandom. Puis, un jeune homme -- dont la légende ne mentionne pas le nom -- approche de Pierre, qui est tout sourire, et lui lance d'un ton arrogant : «Toujours avec Carfax?» Lacroix, percevant l'ironie, sinon le sarcasme, dirigé envers son fanzine, réplique : «Oui, toujours. Et ta soeur?» C'est ainsi que sa première conversation s'est terminée.

Evidemment, au fil des ans, Lacroix a fini par se rendre à plusieurs rencontres du genre. Mais il a toujours semblé mal à l'aise, préférant sans nul doute la solitude.

Et avec Carfax, Pierre Lacroix a eu plus de solitude que prévu. Au moment de la création du fanzine, Lacroix équipe avec un dénommé Joubert. Deux numéros sortent alors. [Pour le coût de 600$ -- en dollars de l'époque, ça faisait une grosse somme... environ l'équivalent de 75000 crédits d'aujourd'hui]. Arrive le numéro trois, en septembre 1984. Même si la signature de Joubert est là, l'homme, lui, a disparu de la circulation. Complétement disparu. Lacroix fonce donc fin seul dans l'aventure de Carfax. A cette époque, il fallait du cran pour faire ça. D'autant plus que Carfax était alors le seul vrai fanzine québécois. Inovateur par son orientation également; Carfax devenait le premier périodique québécois clairement consacré au fantastique.

Évidemment, le fanzine de Lacroix allait, au fil des publications, poliméquer sur toutes sortes de choses qui se sont plus ou moins perdues dans les limbes depuis, mais qui ont eu le mérite d'animer le milieu de l'époque. Et l'animation d'un tel milieu est nécessaire, voir essentiel, à sa survie, ou du moins à son évolution. Il faut dire que dans ce temps-là, la polémique devenait presque inhérente à la SFFQ elle-même. J'ai en mémoire une phrase de cette époque -- mais je ne me rappelle plus qui l'a écrite; ça aurait tout aussi bien pu être Lacroix, ou du moins être publié dans son fanzine. Cette phrase, c'est "La polémique, c'est méchant, mais c'est amusant". C'était à ce moment, une façon de dire que les polémiques soulevées dans les pages de Carfax mettaient de la vie dans le fandom.

On ne sait pas si oui ou non Carfax a tenté de devenir une revue-pro, au sens de  (subventionnée par l'état). Je vous vois sourire, mais ce n'est pas une blague. Nous parlons d'une tranche de l'histoire où l'état subventionnait certaines publications imprimées. C'était la seule façon pour ces publications d'obtenir suffisamment de fonds pour rémunérer leurs collaborateurs. Toujours est-il que Carfax n'a pas été subventionné. Personnellement, je me demande à quel point Pierre Lacroix aurait été à l'aise dans le moule des subventions. L'homme était fort indépendant. Il l'a toujours été, d'ailleurs.

Mais Carfax n'a pas été le seul fanzine à pouvoir profiter de l'implication de Lacroix dans le milieu. Il m'apparait évident que sans Lacroix, bien des fanzines auraient été fort différents. Des zines tels que Temps Tôt et Fenêtre Secrète sur Stephen King, par exemple. Et, dans une moindre mesure, des fanzines tels Horrifique, Octa, Xuensé.

Mais revenons plutôt sur les deux domaines de prédilection de l'illustrateur : la Nature et la Femme. [Habituellement, pour illustrer mon propos, j'invite les visiteurs à consulter les documents visuels du site. Mais comme ce merveilleux réseau doit gérer environ quatre-vingt mille bugs à la seconde, soyons patient]. Lacroix a toujours su illustrer les animaux avec un point de vue intéressant. Se refusant à nous les dévoiler comme des êtres sans intelligence, les animaux de Lacroix ont toujours un regard perçant, un regard intelligent. Précurseur de la pensée qui allait évoluer des décennies plus tard? A l'époque de Pierre Lacroix, bien peu de gens croyaient à l'intelligence animale. Et bien que je n'aie jamais abordé le sujet avec lui, je suis persuadé que Lacroix a toujours su déceler le potentiel des animaux. Il n'y a qu'à regarder ses loups, ou encore ce chat qui rugit littérallement pour s'en convaincre. Et qui a pu admirer son chevreuil camouflé dans les branches ne peut s'empêcher d'y voir là l'image de l'homme qui comprend les animaux. Même son chien-loup, gueule béante. Impossible de ne pas y être sympathique, malgré la rage qui se lit au fond de ses yeux. Je me souviens également de ces oiseaux, perchés sur les barbelés, ces oiseaux si vivants que je m'attendais toujours à les voir s'envoler des pages où je les regardais.

Le sujet préféré de Pierre Lacroix, La Femme, s'intègre très bien dans l'oeuvre de l'illustrateur. Car d'un certain point de vue, les femmes de Lacroix ont toujours eu quelque chose... de félin. Des femmes auxquelles il a toujours su donner un regard perçant, si évocateur du caractère qu'il leur prêtait. C'est, je crois, l'élément qui les a toujours rendues si séduisantes pour l'amateur que j'étais. Peu importe dans quelle situation, quelle posture, quel décor elles sont présentées... les femmes de Lacroix ont beaucoup de caractère... et un charme fou.

@@%!{**   ={Ka++

C'est par la Nature et la Femme que Lacroix a su aborder avec brio le domaine du fantastique. Car à mon sens, Lacroix n'a jamais été un véritable illustrateur de science-fiction, mais sans conteste un illustrateur de fantastique de grand talent. Ses réalisations les plus mémorables, de mon point de vue, ont toujours été celles relevant du fantastique léger. Car même les femmes de Lacroix, qui n'étaient en apparence que des portraits, recélaient toutes un élément fantastique : ne serait-ce que ce regard félin, insaisissable.

Pierre Djada Lacroix ne s'est pas limité au fantastique léger. Il a aussi réalisé des illustrations d'horreur. Je me souviens de l'avoir complimenté sur une double couvrante d'un numéro du fanzine Horrifique. Il m'a vait répondu que la réalisation du dessin lui avait été fort pénible. Je n'ai jamais vraiment su s'il parlait sérieusement à ce moment, mais je crois pouvoir dire qu'il le croyait. Pourtant, malgré une propension à décliner le genre horreur, la majorité des fictions qu'il publia en tant qu'auteur relevaient de l'horreur. Pierre ne me l'a jamais avoué, mais même du temps de Carfax, je crois bien que c'était un amateur d'horreur classique. Il a donc au fil des ans réalisé des portraits d'auteurs tels Stephen King et Lovecraft en plus d'offrir des couvertures extrêmement macabres à quelques occasions.

L'espace réservé à ce site tire à sa fin. C'est malheureux car j'aurais eu encore plusieurs éléments à vous présenter au sujet de cet artiste. Je vous invite toutefois à faire un tour du côté du site sur l'histoire de la SFFQ [@:/qbc//sffq.litt.cdn]. On y a reproduit énormément de documentation. Notamment grâce aux archives très détaillées qu'avait compilées Lacroix, à titre de documentaliste. Je vous rappelle qu'à cette époque, où Lacroix oeuvrait, infatigable, dans le fandom, la documentation était physique. Livres, journaux, revues, articles, extraits divers, etc. Lacroix a compilé et classé une quantité phénoménale de données se rapportant à la SFFQ. Le responsable de ce site sur la SFFQ lui doit beaucoup, à lui et à quelques autres, bien sûr.

Enfin, vous pouvez aussi consulter le site-index ou programmer une recherche. Vous trouverez ainsi des noms de personnes impliquées dans le fandom de l'époque de Pierre Djada Lacroix. Qui sait s'il n'y en a pas un qui a réussi, tout comme moi, à être mémorisé à temps et qui aura eu l'idée de consacrer quelques octets à mon ami, Pierre Djada Lacroix.

++Disconect+++\\\\++

m
 

 


Thème © Le Patriote, pour Sites Xpress.
Illustrations © Pierre Lacroix